Du sauveur providentiel au quasi fossoyeur

Rien n’est plus dur que le recrutement, tous les managers le savent. Mais rien n’est plus stratégique.

Si on trouve la bonne personne, par exemple le bon patron de business unit, on n’a rien d’autre à faire que ramasser le profit qu’il génère, il n’y a même pas à se baisser. Si on tombe sur la mauvaise personne, elle peut vous transformer la poule aux œufs d’or en une carne perclue de pertes que les équipes fuient en hurlant. On est rarement dans tel ou tel extrême mais la surveillance du nouveau manager en place, discrète bien sûr, est plus qu’une vertu, un réflexe de survie. Surtout dans les organisations décentralisées qui ont l’avantage notoire de permettre aux « bons » de donner le meilleur mais aussi aux « mauvais » de donner… le pire. Or est-on jamais certain de ne pas avoir recruté un « mauvais » ?

Il y a quelque temps, nous intervenons pour la division d’un groupe industriel relativement traumatisée. Pour conduire cette division au sommet d’un marché booming, ce groupe avait astucieusement recruté un spécialiste de la super croissance. Autant la stabilité s’accommode d’une certaine modestie pour ne pas dire grisaille, autant la forte croissance requiert du panache, un esprit de conquête ostentatoire, un enthousiasme qui, forcément, habitent l’individu : bagout, exubérance, costumes clinquants, train de vie somptuaire, rolex,… Ces attitudes de condottiere réjouissent les esprits comptables : « voilà l’homme qu’il nous fallait » !

Le nouveau manager présente un plan d’investissement dont l’ambition fait frémir le Groupe tout en l’excitant. Il prend en main les équipes, les dépoussière, les exhorte à se dépasser, les galvanise dans des conventions hollywoodiennes au budget de péplum. Certains collaborateurs suivent le rêve de l’homme rêvé et partent sur orbite. D’autres s’effondrent, incapables de gravir la pente à la suite de l’alpiniste qui méprise leur prudence. Les mois passant, les millions coulent à flot – vers l’extérieur -, le rêve réclame son dû. Vient le temps du premier bilan. Rien à l’horizon. C’est normal : redoublons d’ambition… et de dépenses. Là-haut, le Groupe baigne encore dans la béatitude. On voulait un conquérant, on en a l’image.

Deuxième bilan. Toujours rien ne rentre, le Groupe commence à s’interroger. Coupé de la division par les manœuvres du soi-disant champion, le Groupe ignore que les équipes pâtissent des caprices de celui-ci. La souffrance des collaborateurs augmente lorsque leur chef, pressé par une réalité qui se refuse au rêve, exige le mensonge, le maquillage des chiffres pour ne pas dire la fraude. Certains professionnels sont torturés par de véritables drames de conscience.

A la longue, le Groupe est pris d’une inquiétude qui le taraude. Malgré les assurances de celui chez qui on commence à pressentir l’illusionniste, le Groupe descend dans la division. Ce qu’il découvre lui fait peur : les courbes que l’on croyait monter baissent, le cash se fait rare. « Qu’a-t-il fait de notre joyau ? N’est-il pas trop tard ? ». Le mystificateur est chassé sans autre forme de procès, on bouche les tuyaux qui ruisselaient d’argent et on revient aux basiques de la saine gestion. « Un sou est un sou. On dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit ». Les grands managers, s’étant dessillé les yeux, reprennent la situation en main.

Reste à s’occuper des équipes. Ces deux-trois ans de grande illusion ont laissé des traces. Certains sont traumatisés par les mauvais traitements, leur tort ayant été d’avoir voulu défendre le Groupe. Heureusement. D’autres pleurent le départ du mirage qui rendait la vie si pétillante. Tout le monde est atteint : perte de confiance dans la BU et dans le management, inimitiés, trahisons, frustrations, déceptions, amertume… Cette équipe de managers n’est plus que soupçons : qu’a-t-il fait ? Et lui ? Et lui ? Est-il contre moi ? M’en veut-il ? Puis-je compter sur lui ?… Le trouble est aussi collectif : comment a-t-on pu accepter une telle illusion ? Comment avons-nous pu accepter de faire de telles choses ?

Peut-on croître dans un tel champ de ruines ? Il faut redresser cette situation humaine : ces traumatismes, ces tensions, ces relations détruites, mais comment ? Le Management du Groupe nous appelle ! « S.O.S ! Remettez en état cette équipe ! »

C’est la première fois que nous devons soigner une équipe « gurutisée ». Nous bavons de désir, pas par sadisme mais par goût de la thérapie. Nous avons bon espoir de soulager ces souffrances en purgeant ce passé et de remettre chacun dans la meilleure forme pour repartir. La croissance frappe toujours à la porte et le Groupe croit encore en son enfant prodigue. Quant au successeur, on le voudrait vraiment sauveur, pas du tout fossoyeur.

NOS RECOMMANDATIONS

Nos recommandations pour soulager et redynamiser une équipe « traumatisée » :

1.   Retracer de manière objective et équilibrée les péripéties vécues par les divers groupes de collaborateurs, aussi étranges soient-elles (reconnaître). Au passage, dédramatiser les torts et les erreurs des uns et des autres. En effet, l’erreur est humaine, il est des situations nouvelles qui peuvent tromper des esprits avertis.

2.   Purger les souffrances vécues par les différents sous-groupes de managers : les dominés, les opposants, les méprisés, ceux qui ont été forcés,…

3.   Donner les nouvelles bases du fonctionnement de la division et de l’équipe de managers (autant que possible avec le nouveau manager).

4.   Redonner de l’enthousiasme à toute cette équipe et les raisons ne manquent pas : perspectives de croissance, appui du Groupe.

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