Purge Psychologique

Dans un contexte particulièrement tendu, c’est un autre phénomène psychologique qui m’est apparu pour la première fois après une Présentation Humoristique de Management « explosive de rire ».

Je suis contacté par IKON Office Solutions France. Au plan mondial, la société était un leader de la distribution de fournitures pour entreprises. Elle a depuis été rachetée par Ricoh.

Quelques mois plus tôt, les nombreuses agences locales réparties sur tout le territoire coulaient des jours heureux. C’étaient des PME indépendantes que le groupe IKON avait progressivement rachetées à leurs fondateurs. Les collaborateurs étaient donc habitués à des relations franchouillardes et souvent affectives et le nouveau management central français était assez peu dérangeant. Ce long fleuve tranquille avait pris fin lorsqu’un fonds anglo-saxon s’était emparé de l’affaire dans le cadre d’un LBO[1] : centralisation des décisions, nouveaux modes de gestion, exigence de forte rentabilité et tout le toutim avaient entraîné le départ de la plupart des fondateurs locaux, laissant les équipes face à un pouvoir aussi lointain que tortionnaire, du moins perçu comme tel. Le destin de ces braves gens avait basculé, ils étaient passés de la chaleur d’une vie de famille quasi séculaire à la froide angoisse de l’inconnu frénétique.

Je rencontre le DG France et la CEO de l’activité mondiale employée par le fonds, une américaine. Comme mon approche n’existe pas aux Etats-Unis, je m’attends à ce qu’elle m’éconduise poliment comme un représentant d’un folklore local totalement inassimilable par son « mindset-formaté-ROCE ». Eh bien pas du tout ! Elle écoute avec attention mes arguments, se dit très intéressée et elle décide avec les managers français de recourir à mes services pour la convention, dont le but est de rassurer les collaborateurs et les engager dans la voie du futur.

Mon équipe et moi déroulons notre process. Mon consultant de l’époque, le premier que j’ai eu à mes côtés pour faire les audits, n’est autre que Chris Esquerre qui, après quatre ans à goûter du Rire avec moi, est devenu humoriste grand-public. Toujours le même soin : audit, synthèse-validation avec la Direction Générale…

Nos entretiens nous font découvrir une population pour le moins traumatisée. Les collaborateurs sont déçus par leur ex-patron charismatique, le potentat local. Ils ont le sentiment amer qu’il est parti avec son jackpot — « Take the money and run » — en les abandonnant aux griffes du loup de Wall Street.

Ils ont peur d’être broyés dans la machine à cash, ils ne comprennent pas ce qu’on leur demande, ils ont peur de ne pas être à la hauteur

des nouvelles exigences et certains entrent en conflit avec la nouvelle direction. Notre audit s’apparente à un reportage de guerre sur le front économique.

Nous partageons toutes ces réalités avec les dirigeants. Ils encaissent. Ils mesurent le doigté qu’il va leur falloir pour embarquer tout le monde dans leur projet.

Et je me retrouve un beau matin de juin au Club Med d’Oppio, près de Nice, devant six cents personnes venues de toute la France, pour délivrer ma Présentation Humoristique de Management. Trac énorme. J’ai conscience que je vais étaler de la souffrance à grandes pelletées devant ceux-là mêmes qui éprouvent cette souffrance.

J’entre en scène, les premiers rires fusent sous l’effet de mes gags, ils enflent, s’emparent de toute l’audience. Six cents personnes qui rient, cela fait du bruit. J’arrive aux sujets brûlants, les tensions. J’évoque l’histoire, les événements liés aux acquisitions, les espoirs déçus, les chocs des deux cultures, les oppositions, les résistances, les drames des départs, la peur du nouveau management, l’angoisse face à l’avenir et tous ces changements. Par exemple :

 

 

« Avant, c’était bien ! Ça n’avait rien à voir ! C’était pas grand, avec des grands Chefs qu’on ne voyait pas ! On voyait le patron facilement, on pouvait lui dire bonjour ! On pouvait même le toucher !
Il avait embauché tout le monde ! C’était beaucoup plus qu’un patron, on avait l’impression d’être une bande de copains ! On était une famille ! On arrivait le matin au bureau, on était heureux tellement l’ambiance était bonne ! C’est ça les petites sociétés : fiestas, barbecue, fêtes…
Quand on avait une grande circonstance, un mariage ou… le patron nous prêtait sa voiture. Fallait voir la bagnole, c’était pas une poubelle, une Mercedes noire partout. Fallait voir les cadors qu’on était là-dedans ! Les rois du pétrole!
Et puis on travaillait plus cool ! On dépannait les copains d’urgence, on trouvait des pièces détachées, on chipotait pas, on s’arrangeait… On se sentait protégés par le patron. C’était un peu le père, le grand-frère, dommage qu’il soit parti !
Hein, il est parti ! S…, il nous a pas emmenés alors qu’on était si proches ! Il a vendu sa société et nous avec !
La grande société, elle est pas pareille, elle doit être exigeante parce qu’elle se bat avec des grands groupes à grands coups dans la figure ! Ce qu’il faudrait, c’est rendre la grande société aussi chaleureuse que les petites. »

 

 

L’audience rit et rit et rit. Une heure et quart plus tard, je conclus. Applaudissements nourris. Ouf ! Merveilleux moment de passé, mais quel soulagement ! Jamais encore je n’avais traité, « mis sur la table », tant de détresse. Je craignais des réactions hostiles, amplifiées par une foule de six cents personnes. Je me voyais fuir en courant sous des jets de pierre.

Tout le monde va déjeuner au self-service du Club Med. Les gens bougent tout le temps pour se servir des différents plats offerts en abondance. Là m’attend le moment le plus émouvant que j’aie vécu jusqu’alors dans ces quelques années de démarrage d’Humour Consulting Group. Alors que je déambule entre les tables et les stands, une première personne m’arrête et me serre la main avec chaleur : « Monsieur, c’était fantastique ! Vous avez raconté tout ce qu’on a vécu, vous avez dit tout ce qu’on en bave, ça m’a fait un bien fou ! ». J’écoute, je contemple le visage radieux, je prends ma bouffée de bonheur.

En effet, cette personne ne me fait pas son commentaire sur un ton normal et encore moins attristé, mais avec « une banane d’enfer », un sourire qui fend le visage d’une oreille à l’autre, les yeux qui jettent des étoiles de joie. À peine avons-nous fini de nous congratuler qu’un autre collaborateur m’arrête :

« c’était merveilleux, vous avez dit tout ce qu’on a souffert. Ça va beaucoup mieux maintenant. Quel bien vous nous avez fait !

Merci. ». Avec des étoiles dans les yeux. Puis un autre : « Extraordinaire, quel bien… ». Et une autre… et un autre… et un autre… Mon cœur commence à prendre un gros coup de gonflette. Je ne peux pas faire trois mètres sans qu’une personne au visage rayonnant ne m’arrête pour me confier son soulagement en me serrant chaleureusement la main. Et ils sont six cents ! Ils ne m’abordent pas tous, on y aurait passé la semaine, mais plusieurs dizaines. Je suis bouleversé par tous ces sentiments si forts exprimés dans une liesse générale, tant de chaleur, tant de bonheur. J’ai l’impression d’être le Messie, d’avoir soigné toute la société, j’ai le cœur comme un ballon de rugby.

Et je suis très surpris : comment une présentation-spectacle d’une heure peut-elle avoir un tel effet, peut-elle inverser les sentiments humains ? Tous ces témoignages poignants montrent que j’ai « purgé » les souffrances.


[1] LBO : leverage buy out, opération financière permettant l’acquisition d’une société par endettement, la dette étant remboursée par la génération de cash de la société elle-même. Il fallait y penser.


Extrait de Laugh to Lead – quand le Rire débloque, soigne, rassemble et motive les entreprises, Serge Grudzinski, janvier 2019

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